Peut-on
Peut-on se remémorer la rencontre
Cet instant où le regard repliant ses ailes
Se pose
Cet instant où les vibrations emplissent le corps
Peut-on
Peut-on transcrire le frisson
Les jambes devenues trop faibles
La conviction qu’il faut s’asseoir et attendre
Attendre ce que désormais
On ne devra plus attendre
On ne devra plus attendre
Attendre encore d’y voir encore
Car les yeux se refusent à l’évidence
Evidence d’encre sur papier
Evidence de ce qui prend forme
De ce qui naît qui n’existait pas
Pas encore
Les lettres vacillent
Mais on se dit que non tout de même
On ne peut vraiment pas défaillir
Pas maintenant ni ici
Les fleuves les rivières demandent
A sortir de leur lit
On essaie on essaie fort
De construire digues et renforts
Seulement voilà
Seulement c’est tout
On ne peut pas
Il n’y a plus rien ici
Ni digues ni renforts
Plus rien ici
Que les prénoms aimés
Que les peintures sur les murs
Plus rien car tout est là
Tout
Et tout était là depuis toujours
On le savait on le voyait
Mais c’étaient d’autres yeux que ceux-ci
C’était un autre cœur une autre vie
°
Le seul absent
C’est toi
Qui tiens ma main
Depuis toujours
°
Alors on se penche
Et on respire
Alors on s’éloigne
Et on revient
Et puis on pleure
Et puis on pleure
Un peu
Et un peu plus
Peut-être
Parce que voilà
On n’y peut rien
On note seulement
Que le gardien se détourne
Pour nous laisser seuls
Seuls pour mesurer ici et maintenant
L’immense
Plus vaste qu’on avait pu l’imaginer
Plus vaste que l’infini d’un tracé
Plus vaste que tout ce que jamais
On ne pourra
(Pour Edmond Jabès)
(Pour Edmond Jabès)